Sagesse ou folie de la Banque de France ?

Par Fabrice Hamon le 25 novembre 2022

Merci à la Banque de France d'avoir modéré le crédit immobilier en 2022. Grâce au taux d'usure et au HCSF, elle a protégé les emprunteurs de leurs projets.

Réunion du HCSF à la Banque de France.

Vous ne le saviez pas mais nous avons un Ministère du Financement : la Banque de France !

Une banque « pas commerciale » qui décide depuis un an du commerce des crédits immobiliers, de leur distribution, de leur octroi, de leur remboursement.

La Banque de France a décidé d’encadrer le prêt immo. C’était une jungle ; elle en fit un zoo dont elle est le gardien. Prêteurs, emprunteurs, courtiers : elle a encagé et dompté tout le monde. Avant elle l’observait de loin ; maintenant elle le regarde de près. Elle délimite souverainement le pouvoir d’achat immobilier des français.

D’abord en lui imposant des limitations non négociables : à compter du 1er janvier 2022, il devint impossible de prêter et d’emprunter au-delà d’une durée de 25 ans d’une part, d’un taux d’endettement de 35% d’autre part, assurance comprise et tous crédits inclus, indépendamment des capacités réelles des emprunteurs.

Ensuite par la défense zélée d’un taux désuet, le taux d’usure, au-delà duquel il est également interdit de contracter un prêt. 3.05% est actuellement la limite de taux qu’une banque commerciale ne peut dépasser, englobant taux d’intérêt, assurance de prêt, garantie du prêt, frais annexes, indépendamment des marges nécessaires aux prêteurs.

Si la vocation du HCSF est d’empêcher un recours excessif au crédit, la vocation du taux d’usure est d’empêcher la pratique de taux abusifs. Le Haut Conseil et le seuil de l’usure sont des régulateurs du marché immobilier. Au marché de s’adapter à eux, pas l’inverse.

Quand bien même la situation aurait radicalement changé, comme ce fut le cas en cours d’année suite à un retour extraordinaire de l’inflation. Si à ce taux d’usure il n’est plus rentable et devenu plus risqué pour un prêteur de financer un emprunteur, la Banque de France ne s’en inquiète pas outre mesure. Au contraire, elle se félicite de protéger les emprunteurs de ce nouveau contexte de forte hausse des taux et de renchérissement des coûts de crédit.

Si à ces conditions de durée et de taux d’effort, c’est l’épargne des emprunteurs qui est menacée, elle y voit justement une influence saine de son encadrement. La pénurie de financement exige un montant d’apport personnel plus conséquent ? Au moment même où une épargne de précaution est plus que jamais nécessaire pour se protéger de l’inflation ? N’empruntez pas maintenant ! Gardez cet argent pour le moment. Attendez… Tel est le conseil de la Banque de France.

Attendez notamment que les prix baissent puisque le refus de réformer le taux d’usure a pour autre effet de les corriger en douceur, de les faire revenir à la raison. D’assagir les vendeurs après avoir assagi les acheteurs. De les protéger eux aussi d’une baisse des prix immobiliers trop brutale à cause d’une hausse des taux d’intérêt trop rapide.

Une hausse des taux freinée par la législation sur l’usure ; un risque de surendettement limité par les directives du Haut Conseil de Stabilité Financière. Une prudence qui n’a rien d’absurde, quoique…

Parce que la BDF n’est pas seule. Il y a aussi la BCE ! Si la première fixe aux banques un taux maximum auquel prêter, la deuxième leur fixe un taux minimum auquel emprunter. C’est leur taux de refinancement auprès du prêteur en dernier ressort pour financer à moindre coût les projets immobiliers de leurs clients. Et non des moindres en effet ces derniers temps !

Le taux d’usure de la Banque de France, c’est le taux plafond d’un crédit immobilier. Le taux refi de la Banque Centrale Européenne, c’est son taux plancher. Il était à 0%, un vrai prêt à taux zéro, un PTZ pour les prêteurs ! Il est passé à 2%. Le taux d’un PEL ! Inutile d’être Gouverneur de la Banque de France pour le comprendre : prêter leur coûte vraiment plus cher et c’est pourquoi les banques prêtent moins qu’avant.

La BCE ayant annoncé une nouvelle hausse imminente de son taux directeur et la BDF n’ayant pas prévu de réformer son taux d’usure, non seulement il n’est pas possible de prêter au-dessus, mais il ne sera bientôt plus possible de prêter en-dessous.

Ni au-dessus ni en-dessous ! Résultat : un marché immobilier sens dessus dessous ! Alors sagesse ou bien folie de la Banque de France ?

Sagesse ou folie du taux d’usure ?

Le taux d’usure bouge tous les trois mois.

Pas très dynamique ce taux ! Et en un sens c’est rassurant quelque chose, aujourd’hui, qui ne s’affole pas… Le taux d’usure est un taux sage.

Sauf qu’en ce moment il rend fous tous les acteurs du marché : banquiers, courtiers en crédit, notaires, agents immobiliers, conseillers en gestion de patrimoine, constructeurs de maisons individuelles et promoteurs d’immeubles neufs !

Rien que ça ? Non ce n’est pas tout ! À côté de tous ces professionnels il y a les particuliers eux-mêmes. Les emprunteurs ! Les investisseurs ! Les acheteurs et aussi, ne les oublions pas, les vendeurs. Les acteurs principaux en somme. Ceux à qui le problème du taux d’usure posent le plus problème !

Alors posons-le ce problème et pour commencer résumons-le en une formule : il n’y a plus moyen de prêter à tous ceux qui ont les moyens d’emprunter !

C’est bien là que le bât blesse : le problème n’est pas qu’il empêche d’emprunter tous ceux qui veulent, mais qu’il empêche d’emprunter tous ceux qui peuvent.

Aujourd’hui, la durée d’un prêt immobilier ne peut pas dépasser 25 ans ; sur cette durée, le TAEG, le taux annuel effectif global du prêteur, ne peut pas dépasser 3.05% ; enfin le taux d’effort, le taux d’endettement de l’emprunteur, ne peut pas dépasser 35%, assurance comprise et tous crédits inclus.

3.05% sur 25 ans à 35% de taux d’endettement : telles sont les limitations imposées par la règle de calcul du taux d’usure d’une part, par les règles arbitraires et contraignantes du HCSF d’autre part.

À 3.06% : refus de prêt. À 35.1% : refus de prêt. Et même à 3.05 mais sur 19 ans : refus de prêt puisque cette fois le taux si sensible qu’il ne faut pas froisser est de 3.03%. Votre déménagement tient vraiment à très peu de choses !

Si ça dépasse le taux d’usure ou le taux d’endettement d’un chouya, c’est mort ! Or c’est ce qui se passe actuellement régulièrement. La donne a totalement changé mais le taux d’usure continue sa route comme si de rien n’était. Comme s’il ne voulait rien savoir !

Fin 2021 nous empruntions à 1%. C’était le 1% symbolique du crédit ! Nous en étions à 1.50 en juin et en un été nous sommes passés à 2.30. Des taux qui montent fort et des prix qui ne baissent pas encore.

De toutes parts le taux d’usure est dépassé par les évènements mais peu lui importe : taux d’inflation, taux directeurs, taux obligataires, des taux sans limites, sans taux d’usure, libres et remuants, qui s’envolent insolemment. Finalement ils se fichent de lui autant qu’il se fiche d’eux. C’est de bonne guerre.

Ils peuvent gonfler les taux d’intérêts à volonté, lui les dégonfle à sa guise, pour le bien des emprunteurs. Parce que c’est à ça qu’ils servent les taux maximaux, qu’ils fussent d’usure ou d’endettement : ils vous protègent du projet fou de posséder un bien !

Ils protègent d’un excès de confiance, celui de l’emprunteur tout autant que celui du prêteur.

Sagesse ou folie du HCSF ?

La norme de taux d’endettement agit avec la même indifférence.

Le taux limite d’endettement c’est comme le taux d’usure, il ne regarde pas plus loin que le bout de son nez. Votre propre solvabilité n’y entre même plus en ligne de compte. Votre argent compte pour du beurre.

Il a été décrété que votre capacité de remboursement ne pouvait être supérieure à 35% de vos revenus. Peu importe ce que vous en pensez vous-même ou ce que le banquier en pense : vous vous trompez tous les deux. Et c’est à dix euros près ! Si 35% ça fait 1000 € alors ce sera 1000 €, pas 1010, ça non, faut pas, ce serait excessif.

Si 10 € vous font dépasser 35% de vos revenus, le HCSF vous dit que vous avez les yeux plus gros que le ventre. Vous exagérez vos capacités financières ! C’est un excès d’emprunt ! 10 € de plus, c’est 10 € de trop ! Ils risqueraient, si si, de vous surendetter au fil du temps. Vous alliez sous peu vous retrouver fichés à la Banque de France et elle veut que vous lui fichiez la paix cette Banque de France alors elle est gentille, elle vous évite d’y aller.

À 10 € de moins vous respectiez le taux limite d’endettement. À 10 € de plus vous franchissez le taux fatidique et vous ouvrez la boîte de Pandore. Heureusement que la Banque de France veille au grain. Elle ne permettra pas que vous mangiez des pattes à la fin du mois, du moins pas pour un appartement ou une maison : vous avez encore le droit de vous surendetter avec des crédits à la consommation - il manquerait plus que ça !

Et l’astuce, c’est de faire un crédit conso après le crédit immo, pas avant… Avec du conso, vous pouvez exploser les compteurs, vous endetter à 65 % ! Cette fois 35% sera votre taux de reste à vivre et personne n’y redira rien. C’est simple : quand vous faites un crédit immo on vous demande d’avouer tous vos autres crédits ; quand vous faites un crédit conso on ne vous demande d’en décliner aucun…

Alors oui, c’est vrai, le HCSF permet aux banques de dépasser ce taux fétiche pour 20% de leurs clients. Trop aimable. Merci mon Dieu. Mais pour peu que l’un d’eux se retrouve surendetté après, il reprochera au prêteur de l’avoir jeté dans l’arène des huissiers.

Il accusera la banque d’avoir exceptionnellement dérogé à la règle, de lui avoir fait profiter des largesses de la Banque de France, où maintenant il est interdit bancaire !

Sagesse ou folie du Gouverneur de la Banque de France ?

La Banque de France ne réformera pas le mode de calcul du taux d’usure et ne supprimera pas les contraintes de durée et de taux d’endettement.

L’institution bicentenaire est sûre de son fait. Elle est certaine de protéger les emprunteurs et les prêteurs, défendus à leur insu. Elle continuera de contrôler la bonne répartition du crédit et de dicter aux banques leurs conditions de financement.

Elle estime que prêter est devenu trop risqué, qu’emprunter est devenu trop risqué, que les prêteurs et les emprunteurs représentent eux-mêmes les uns pour les autres un trop gros risque et surtout que ni les uns ni les autres ne savent évaluer le risque véritable de la charge d’un crédit.

Elle a oublié que l’évaluation et la gestion du risque est le métier même, historique, ancestral, du banquier. Un prêteur est rationnel : il étudie dans le détail une demande de prêt. Il n’y a pas un euro de revenu ni un euro de charge qui ne soient passés à la loupe des conseillers bancaires. Pour autant elle estime qu’il est plus sage de superviser, encadrer, homogénéiser l’offre de crédit, quel que fût votre profil.

La Banque de France s’est dotée d’un pouvoir démesuré il y a deux ans, lorsque le HCSF fit ses premières recommandations pour réguler l’accès au crédit. Elle a déresponsabilisé les prêteurs et les emprunteurs, en décidant à leur place de ce qui est faisable ou pas pour les uns, de ce dont ils sont capables ou pas pour les autres.

Elle dit aux banquiers, courtiers en crédit, notaires et professionnels de l’immobilier : vous êtes sur le terrain, pas moi ; vous n’y connaissez rien, moi je sais. Le Gouverneur de la Banque de France n’a pas la sagesse d’écouter les acteurs du marché immobilier. Il agit en « sachant », comme un « je sais tout » ou un « j’en sais plus que vous ».

« J’ai une vision à long terme que ne peut vous procurer votre perception réduite au contact des clients et de leurs projets individuels. Vous ne me remontez que des cas particuliers qui ne peuvent remettre en cause ma politique générale ni ma vision globale. Vos vraies vies ne reflètent pas la réalité. »

« Moi ce que je prévois, c’est un retour à la normale dans quelques mois. L’inflation baissera et tout rentrera dans l’ordre. Je ne vois pas un effondrement mais une normalisation. Je ne panique pas ; ne vous affolez pas. Ceux qui ne peuvent acheter aujourd’hui ne sont pas exclus de la propriété, ils sont tombés au mauvais moment et remonteront bientôt leur dossier. »

« Le problème du taux d’usure se résoudra de lui-même, sans qu’on ait eu besoin de le modifier. Ça passe ou ça casse actuellement… Limitez la casse. Ça passera. Les planètes spectaculairement non-alignées il est vrai en ce moment s’aligneront de nouveau sous peu de temps. Soyez sages, prenez patience, sachez vous priver…»

« Vous ne comprenez pas les causes anciennes et complexes de la situation et ne voyez pas les effets durables et salutaires de ma position. Ce n’est pas votre faute. Vous n’avez que votre chiffre d’affaires sous les yeux. Moi j’ai les chiffres de la société française. La Banque de France vous protège. Ayez confiance ! Faites-moi crédit - si vous permettez que je plaisante un peu. »

« J’ai limité la consommation de crédit immobilier pour le bien de nos concitoyens. Désormais ce sont les banques qui en restreignent à leur tour l’accès, à cause d’un manque de rentabilité, oui je le reconnais, mais c’est un contrecoup exceptionnel avant un retour à meilleure fortune dès l’année prochaine, disons en avril ou mai. »

« Mon maintien du taux d’usure en l’état revigore les taux révisables, c’est vrai, j’ai vu, des banques y trouvant un moyen de le contourner ou de passer par dessous. Mais là encore il s’agit d’un effet, aussi indésirable qu’imprévu, anecdotique et temporaire. Je tiens comme vous aux taux fixes, quoiqu’en dise la BCE dont je suis entre parenthèses un membre éminent en tant que numéro un de la BDF. Je défendrai le modèle français. Je défendrai le taux fixe comme je défends le taux d’usure, c’est vous dire comme je serai intraitable. Vous savez comme je sais m’entêter… »

« Je sais bien qu’un crédit immobilier est une défense remarquable contre l’inflation : vous bloquez un prix, vous bloquez un taux, vous bloquez une mensualité. Un taux fixe est plus sage encore que le taux d’usure ! Il ne dure pas 3 mois, il dure 10 ans, 15, 20, 25 ans. Le taux d’inflation peut varier autant qu’il veut, la mensualité du prêt ne bougera pas. Il n’est pas aussi influençable et pourtant Dieu sait comme le taux d’usure ne se laisse pas impressionner. Et puis il y a mieux ! Emprunter sous un taux d’inflation plus élevé que le taux d’intérêt, c’est s’enrichir à taux réel négatif, à rien faire sauf à rembourser son prêt ! »

« Je sais tout cela et je regrette que le calcul du taux d’usure ne permette pas d’en profiter. Surtout que les taux sont encore très bas, c’est bien dommage. Mais certains peuvent encore emprunter et si les taux sont encore très bas en France, plus bas que partout ailleurs en Europe, c’est justement grâce au taux d’usure français, plus du tout grâce au taux refi européen ! Voyez comme rien n’est simple… »

« Vous dites que le marché immobilier sera plus dynamique si je relève le taux d’usure. Mais des taux d’intérêt à 3 ou 4% ne vont-ils pas dynamiter encore davantage la solvabilité des français ? Les prix immobiliers ne vont pas baisser du jour au lendemain et je crains qu’ils ne descendent que d’une marche et seulement par endroits. »

« Et sans vouloir vous commander, ne dites plus que je rationne l’accès à la propriété. Comme si je distribuais des tickets immo ! Moi aussi je vois l’immobilier comme un placement. Je sais que l’achat de sa résidence principale est le premier et le meilleur des investissements. Je demande juste d’être raisonnable. De s’enrichir à crédit avec modération. 25 ans c’est déjà long. 35% c’est déjà beaucoup. 3.05 c’est déjà trop. »

« Voyez le taux d’usure comme un taux stable qui chapeaute des taux instables. Voyez le HCSF comme une ceinture de sécurité. Surtout regardez-moi comme votre Ministre du Financement ! Avec le Ministre du Logement nous serons vigilants. La rencontre au sommet Olivier Klein - François Villeroy de Galhau, François c’est moi, a eu lieu et nous avons décidé de nous entretenir régulièrement. »

« Vous voyez comme je suis informé, instruit au-delà de ce que chacun de vous peut connaître dans son coin, petit coin oserais-je dire, alors croyez en mon magistère… Je sais que ma place est privilégiée et me permet d’attendre tranquillement. En vérité je n’ai même pas besoin que les affaires reprennent ! Je sais que les banques aussi peuvent attendre. Elles ont les reins très solides comme chacun sait. Les notaires également ont bien d’autres ressources que les actes immobiliers pour encaisser de la monnaie. Vous en revanche, intermédiaires immobiliers de toute sorte, n’avez pas tous les moyens de prendre votre mal en patience. Je mets vos revenus en péril, vous êtes sur le qui-vive j’en suis conscient mais tenez, vos clients reviendront. Faites comme eux et moi, si ce n’est sages, soyez philosophes…»

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